• L’acteur caméléon

    HOMMAGE A MICHEL SERRAULT


    En robe de chambre, brisant sa biscotte en voulant la tartiner, l’extravagance de Zaza aura fait le tour du monde. Mais au-delà de ce rôle culte se dessine un comédien mystérieux aux multiples facettes.


    Le rideau est tombé. La dernière représentation de Michel Serrault arrache les larmes de tout le cinéma français et du public en ce lundi 30 juillet. Il laisse un “grand vide”, résume sobrement Pierre Tchernia, bouleversé par la disparition de l’un de ses amis les plus intimes. Il faisait partie de ces personnes uniques dont on finissait par croire qu’ils sont immortels. Condamné par la maladie, il s’en est allé. Par la grande porte. Cinquante années de succès sur les planches ou dans les salles obscures, trois césar du Meilleur Acteur, des collaborations avec les plus grands réalisateurs, de Sautet à Chabrol, il a toujours eu conscience de ce qu’il accomplissait, sans pour autant sombrer dans la prétention. “Il n’y a pas de films honteux. Il y a des critiques honteux”, répondit-il à Jacques Chancel qui tentait de savoir s’il regrettait des tournages.


    Poiret, l’alter ego

    Sa carrière débute dans les cabarets, là où il va trouver celui qui sera son inséparable compagnon de scène : Jean Poiret. “Jamais je n’ai retrouvé dans la complicité et l’invention deux auteurs qui se mettent à ce point d’accord”, confiait-il en 2001 au moment de la sortie de son autobiographie ‘Vous avez dit Serrault ?’. Le duo entre dans la légende en 1973 dans la célébrissime pièce ‘La Cage aux folles’, qui sera adaptée au cinéma avec autant de succès. Leur complicité est inébranlable, même si chacun emprunte des routes différentes. Leurs noms sont associés pour la postérité : “Je tiens à ce qu’on ne m’appelle pas Serrault”, lance en forme de boutade Poiret à Michel Drucker. “Serrault, c’est un travesti que j’ai trouvé dans le ruisseau à Toulon”, renchérit-il dans un éclat de rire général. Preuve s’il en fallait, que le duo ne se prend pas au sérieux. Michel Serrault devient l’incarnation du rire sur le grand écran. Un genre réputé mineur qu’il tente de réhabiliter aux yeux du public : “Faire rire c’est difficile. Faire pleurer, c’est pas compliqué”, martèle-t-il. La sentence rappelle celle jadis formulée par Molière à travers la bouche de Dorante, qui comparait tragédie et comédie : “Vous mettriez un plus du côté de la comédie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas”. Serraut, le Molière du septième art, qui prenait un plaisir à décortiquer les secrets de sa pratique : “C’est un métier d’inventeur, de créateur. Moi ce que j’aime c’est Michel Simon qui n’a jamais été clochard de sa vie et qui vous fait croire que c’est un clochard ! C’est bien mieux ! C’est réinventer ! C’est ça le métier d’acteur”. Celui qui interprétera la farcesque Zaza n’était pas seulement un clown grimé et grimaçant, mais aussi un véritable théoricien, qui ne renonçait pas pour autant à l’humour : “La grande différence entre moi et Robert De Niro, c’est que je n’ai pas besoin de passer quinze jours dans un hôpital psychiatrique pour jouer un fou”.


    ”Un acteur de composition”

    Pourtant, Michel Serrault ne s’isole pas dans le costume comique. Il exploite toutes les palettes de l’acteur au point d’émerveiller ceux qui travaillent avec lui : “Ce qui était magnifique, c’était son besoin de création, de faire les choses. A chaque fois, il fallait inventer un personnage”, rappelle avec nostalgie Pierre Tchernia. Serrault lui-même se définissait comme un “acteur de composition”. Dès lors, aucun territoire ne lui était interdit. Vieil escroc humaniste aux côtés d’Isabelle Huppert dans ‘Rien ne va plus’ de Claude Chabrol, il incarne un ancien juge des colonies à la retraite dans ‘Nelly et Monsieur Arnaud’, offrant au grand public un visage pathétique et émouvant à la fois. “Il est entré dans le personnage jusqu’au bout des ongles sans changer une ligne du texte. Et en même temps, sa vulnérabilité transparaissait continuellement”, expliquait Claude Sautet à la sortie du film.


    ”Je ne suis jamais moi-même”

    Grand professionnel, il savait surprendre et venir là où on ne l’attendait pas. Un acteur caméléon en somme : “Vous jouez l’ambiguïté et ça vous amuse ! Vous êtes parfaitement inattendu”, lui demande Jacques Chancel. Et comme souvent, la réponse de Serrault arrive en forme de pirouette : “Je ne sais pas où je vais, mais je suis à l’heure”. La dérision colore souvent ses confidences, au point de troubler l’assistance : “On se sait jamais s’il est sérieux”, lança même goguenard Jean-Marie Cavada dans ‘La Marche du siècle’. “Je ne suis pas moi-même, lui rétorqua Serrault. Il y a toujours une part de ma réflexion, mais je ne suis jamais moi-même… au premier degré”. Déroutante personnalité que chacun croit connaître, dompter, mais qui se dérobe sitôt que l’on croit l’avoir cernée. Comme aux César 1996, quand chacun s’attend à rire - c’est alors sa troisième récompense - et que les spectateurs découvrent un homme qui, loin d’être repu, offre un visage ému, les larmes aux yeux. L’homme est secret et l’humour est sa “bouée de sauvetage”, concède-t-il. D’ailleurs, il confie : “Mon plus grand désir, c’est de faire un film sans que l’on ne me reconnaisse du tout”.


    ”Je ne cache rien”

    Pudique, l’acteur, se défend pourtant de se réfugier derrière le rire : “Je ne cache rien”. Pour lui, tout est dévoilé à travers ses rôles : “J’ai une grande conversation avec le public, qui se continue depuis cinquante ans. Vous voulez savoir qui je suis ? Devinez ! Regardez ! Un acteur qui est habité par des obsessions… alors on le devine”. Refusant d’y mettre les mots, dont il dit qu’ils ne sont “pas grand-chose”, il privilégie les “intentions”, la seule chose qui compte. Un jour, il confie que, suite à la représentation de ‘L’Avare’, dans lequel il jouait un Harpagon qui s’endormait, seul au monde, sur sa cassette, une femme vint à sa rencontre, les yeux pleins de larmes, en lui affirmant “J’ai vu là que vous croyez en Dieu”. L’acteur répondit d’un pudique “Je ne sais pas, peut-être”. Mais cette anecdote lui montre qu’un artiste n’a pas besoin de justification par le langage pour parler de lui. Une manière d’être sincère sans trahir les secrets.

    Ceux-là, il les garde justement pour Dieu. Très croyant, il aurait pu embrasser la carrière de religieux. Ses interventions dans l’émission ‘Le Jour du Seigneur’ témoignent de sa piété, bien loin des fanfaronnades auxquelles il s’était livré au journal télévisé de Bruno Masure quand, avec Nagui, il s’était retrouvé en caleçon à la fin du journal. “Si on n'a pas la foi pour récupérer, pour transformer le sens de la vie, tout devient un peu dérisoire, et même pathétique", avait-il confié au père de La Morandais, alors qu’il venait de perdre l’une de ses filles. Le prêtre qui, au dernier moment de sa vie, avait lancé en boutade aux oreilles d’un homme qui se sentait partir : “Va faire rire le Bon Dieu, il en a bien besoin, parce que c'est un boulot pas facile”. Serrault avait répondu d’un sourire. A peine le rideau est-il tombé sur terre que les anges préparent la nouvelle entrée en scène de l’artiste.


    Yves Delahaie pour Evene.fr - Juillet 2007


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